La propale est pliée, une dernière relecture tout à l’heure avant de l’envoyer au client. Nécessité d’observer une pause… Nous sommes dans les derniers jours de juin, la chaleur est oppressante, je me dirige jusqu’à la cuisine, toute vivacité intellectuelle disparue…

Et là, le choc ! Sur le plan de travail, en plein soleil, la glace, ou ce qu’il en reste… une espèce de soupe fuchsia.

Je crie le prénom de mon ado, je suis alerte maintenant, j’ai oublié la torpeur de l’été.

Il arrive, les écouteurs sur les oreilles. Il les enlève, il a compris que l’heure était grave. Je pointe mon doigt en direction du désastre :

Et de l’Amorino en plus !

Ouais, bon, j’ai un peu oublié la glace, désolé, j’lai pas fait exprès.

Désolé, j’lai pas fait exprès. J’en ai assez de cette formule qu’il brandit comme un étendard. Désolé, je n’ai pas acheté le pain, j’lai pas fait exprès ; Au fait, j’lai pas fait exprès, mais j’ai oublié d’apporter le carnet de santé au médecin, etc.

Il sent ma stupeur, il répète, J’lai pas fait exprès, t’inquiète on en rachètera demain.

Manquerait plus que ça ! Qu’il l’ait fait exprès, vous imaginez : Ouais, j’avais fini la glace à la vanille alors j’ai laissé celle à la framboise fondre parce que je ne l’aime pas celle-là.

En même temps, ça aurait le mérite d’être franc…

Je m’arrache à des réflexions surréalistes et préfère revenir aux fondamentaux : Tes excuses ne m’intéressent pas, ce que je te demande, c’est de faire attention, de penser AUX AUTRES. Je suis injuste, mais mon courroux est proportionné à la gravité du crime ! Entre nous, on est les parents qu’on peut, pas ceux qu’on veut. Surtout quand il s’agit de glace en période de canicule.

On peut pt’être en faire quelque chose, genre …

Genre bêtise de Cambrai ? Je réponds ironique.

Déjà, il branche le mixeur, ouvre le congélateur à la recherche de glaçons…

Je décide de laisser son génie créatif s’exprimer. Après tout, il se responsabilise… Je regagne mon bureau, je me sens déjà d’humeur plus clémente. Il me crie :

J’peux ajouter un yaourt ? Ça va faire un truc de ouf.

Un yaourt, évidemment, et d’ailleurs, pourquoi me demande-t-il l’autorisation ?

Tadaaa ! Dans une jolie coupe, sur le plateau bleu, mon fils m’apporte une sorte de smoothie : je le remercie. On est réconciliés.

La porte d’entrée s’ouvre. Mon aînée vient de rentrer. Elle passe par la cuisine, je l’entends ouvrir le frigo, et le refermer vivement. Elle arrive en trombe dans mon bureau :

Il m’a pris mon dernier yaourt au citron vert ! 

Maintenant je comprends, le yaourt bio au citron vert…

Ah, vraiment désolée, c’est moi, je ne l’ai pas fait exprès…

Elle me regarde presque amusée cette fois : Maman, c’est toi qui dis ça ! Mais tu dis toujours

Il fait trop chaud pour expliquer et puis j’ai ma propale à relire…